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"Les économistes, ils osent tout ... c'est même à ça qu'on les reconnaît"
Organisation du travail : ne pas choisir entre Santé et Performances
Publié par Michel.BENOIT dans Humeur · Mercredi 21 Jul 2021
Tags: LesEchosEconomiestocks
« Les économistes, ça osent tout ! c’est même à ça qu’on les reconnaît … »
 
C'est la faute au Lean Management
Dans un article paru dans « Les ECHOS » le 13 mars 2021, le professeur émérite d’économie Jean-Paul POLLIN de l'Université d'Orléans et membre du Cercle des Economistes explique « comment le lean management a fragilisé nos entreprises et nos économies ?». Il met en cause dans cette tribune le "zéro stock" et le "juste à temps", selon lui piliers du Lean Management, comme la source de tous nos maux. Notre conviction est que les problèmes actuels de compétitivité et de fragilité économique peuvent au contraire s'expliquer par le manque de "lean management" : pendant des dizaines d'années (depuis 1980 et le néo-libéralisme), la majorité des économistes (pas les économistes attérés par exemple !) ne misaient que sur la mondialisation, que les entreprises n'avaient plus besoin de se battre pour la rentabilité puisqu'il était économiquement plus rentable de produire à l'autre bout de la planète, et que la seule alternative s'appelait délocalisation. La preuve : les constructeurs automobiles français ne devait plus produire les modèles de début de gamme en France !
 
Il nous a fallu le temps de la réflexion nécessaire pour faire retomber l’agacement de la lecture de cette tribune. Mais l’occasion est trop belle pour tenter une réponse. Mais de quoi parle-t'on quand on fait référence à ce système de management trop facilement simplifié au seul "Juste à temps" ? Et quelles sont les réalités qui existent derrières les vieux slogans comme le "zéro stock" ?
 
Les fausses croyances au sujet du « lean management »
 
Le « zéro stock » n’a jamais été un pilier du système d’organisation de la production à l’origine du Lean. Dans le TPS - TOYOTA Production System - le stock (comme stagnation des flux physiques ou des flux d’informations) fait partie de ce que l’on nomme les muda, correspondant à tout ce que le client ne veut pas payer. Parmi les muda (la non-valeur-ajoutée), on trouvera la surproduction, le transport, les défauts de qualité, les processus superflus, …
 
Le « zéro stock » n’est qu’un raccourci initié lors la reprise dans le monde occidental par les chercheurs du MIT (Massachussetts Institute of Technology) des principes de ce nouveau système de management - le TPS - dans les années 90. Pour vulgariser le juste à temps initial de TOYOTA, on a inventé les "zéro quelquechose" (0 papier, 0 délai, 0 défaut, ... et donc 0 stock) mais sans aucune réalité avec ce qui a été réellemnt mis en place dans ses usines au Japon. Le système TPS - simplifiée au "juste à temps" - est avant tout de servir exactement ce dont le client a besoin, quand il en a besoin, au coût et à la qualité demandés. C’est (cela devrait être) la base de tous les systèmes de production, car c’est la garantie de pérennité pour l’entreprise
 
Les stocks ne protègent pas le client
 
Les stocks de masques dans la pandémie actuelle pourront servir d'exemple. Lors de la précédente pandémie de SRAS des années 2002 - 2004, des stocks préventifs (plusieurs millions) de masques avait été constitués, et finalement fournissaient le « coussin » confortable, le « coussin de sécurité » pour faire face aux imprévus qui sont évoqués dans votre article des Échos. Ces stocks n’ont pas été renouvelés et les dates d’utilisation dépassées ont conduit à leur destruction quelques mois avant le début de la COVID 19. C’est l’équivalent de l’eau tranquille qui recouvre le massif de corail ou les rochers au fond de la mer. C’est lorsque l’eau se retire ou quand on plonge que l’on se rend compte que le fond n’est pas le reflet de la quiétude de la surface. En « Lean management » le stock représente le niveau de la non-performance opérationnelle, un indicateur en quelque sorte. Et diminuer les stocks (baisser le niveau de l’eau) doit s’accompagner en même temps de la mise en place des actions pour supprimer les rochers (les problèmes d'organisation, de qualité, de logistique, ...) qui affleurent quand l’eau baisse. C’est cette partie qui a été oubliée dans beaucoup de transformations d’entreprise qui ont copié – sans le comprendre – le modèle « Lean ». Dans le cas des masques, le renouvellement des stocks n’a pas été pris en compte, et surtout les moyens de renouvellement n’ont pas été considérés au bon niveau. La seule société française capable de produire des masques a été sacrifiée sur des critères économiques : pas assez rentables par rapport aux masques produits dans les usines chinoises !
 
Primauté des flux sur les stocks
 
Les critères que vous évoquez dans votre article comme « références en termes d’efficacité dans la gestion d’une entreprise » ne le sont pas pour les praticiens du Lean. Le « juste à temps » est une notion souvent reprise, pas forcément bien interprétée. Au sens du Lean, le « juste à temps » correspond à servir le client le mieux possible en matière de QCD – Qualité, Coût et Délai. Qualité en premier, celle que le client a besoin, au coût permettant au prix négocié de couvrir les coûts et d’assurer la pérennité de l’entreprise, au délai convenu, ce qui se pratique pour le domaine. Pas simplement servir quand le client le veut comme on le lit trop souvent ! Cela se traduit par la lutte drastique, quotidienne et partagée de toutes les sources de non-valeur ajoutée (les muda). Recherche partagée en effet car le modèle repose sur l’implication de tous dans cette recherche d’efficacité, et en premier lieu des opérateurs qui sont sollicités pour trouver et réaliser les améliorations de leur poste de travail au sein des groupes de travail (activités Kaizen). C’est sur ce sujet que le vrai « lean management » repose et se distingue : les salariés sont une ressource, pas seulement une charge ou une variable d'ajustement !
 
Le « zéro stock » n’est pas et ne doit pas être un but, mais la traduction de la réduction des délais dans tous les processus de l’entreprise. Une entreprise performante aujourd’hui est celle qui pourra fournir le meilleur QCD, et ça se traduira nécessairement par celle qui aura le moins de stock, conséquence de l’efficacité de son système de production. La plupart des économistes – sans présumer votre position sur ce sujet - disait que le coût trop élevé du travail en France obligeait à délocaliser la fabrication des petits modèles dans les pays au coût de main-d’œuvre moins élevé (Maghreb, Roumanie, …). Comment expliquer alors que l’usine TOYOTA d’ONNAING dans les Hauts de France continue d’embaucher aujourd’hui encore pour produire depuis plus de vingt ans le modèle YARIS, un des plus petits véhicules de sa gamme ? Le système mis en place ne vise pas d’avoir le moins de stock possible, mais à réduire au strict minimum le temps entre la réception des composants et la sortie du véhicule fini : c’est ainsi de mieux servir le client, avec des modèles offrants toujours plus d’options et de variétés. Le système de TOYOTA est aussi de solliciter l’ensemble des collaborateurs pour produire au quotidien des améliorations efficaces, et pour qui un problème est avant tout une opportunité d’amélioration, si on met en place les solutions pour qu’il ne se produise plus.
 
Sortir d’une vision caricaturale des organisations
 
    Nous reprenons ici à notre compte un des titres de votre article. D’abord soyons réalistes : personne n’a prévu, personne ne pouvait prévoir ce qui allait se passer au début de la pandémie. Stock ou pas stock, la situation était absolument exceptionnelle.
Mais pour illustrer le propos nous reprendrons une JAPON - 2011 - Tsunamianecdote vécue en 2010 lors d’un voyage professionnel au Japon, pendant lequel nous avons eu la chance de rencontrer un des directeurs de TOYOTA. Un collègue lui a demandé quelles étaient pour lui les différences majeures entre les systèmes occidentaux et nippons. Sa réponse, après mûre réflexion qui s’impose d’un responsable japonais, reste pour nous emblématique de l’approche de TOYOTA (et certainement de la culture japonaise) : « En Occident, vous faites tout pour ne jamais tomber. Au Japon et chez TOYOTA, on sait qu’un jour on tombera et on met tout en place pour pouvoir se relever rapidement ». C’était huit mois avant le tsunami qui dévasta le nord de l’ile, et où les vagues ont dévasté les champs et les cultures sur plusieurs dizaines de kilomètres.
Nous pourrions à notre tour être très caricaturaux, en pointant ces grands cabinets financiers ou d’organisation que vous connaissez probablement, rassemblant de brillantes compétences essentiellement économiques et qui interviennent dans les entreprises en faisant ce nous nommerons pudiquement un « ersatz de Lean ». Ils appellent Lean des opérations de réduction de coûts (cost killing) avec comme seul indicateur le bilan de l’entreprise, d’optimisation des organisations en n’ayant que comme indicateur la réduction de la masse salariale, de délocalisation des productions sur les critères économiques de court terme comme le coût de revient unitaire, et ,bien entendu, la réduction du coût des stocks sans prendre en compte la satisfaction du client.
 
Nous prendrons un exemple hors des usines où ces grands cabinets d’experts ne sont pas les plus à l’aise. Ce sera une administration française, qui doit traiter les dossiers de naturalisation des personnes étrangères. Le ministère, dans sa recherche d’efficacité (économique avant tout), avait missionné un de ces grands cabinets réputés. Avant l’intervention, les employés étaient chargés du dossier du début à la fin, et les personnes étaient spécialisées en fonction du pays de provenance des personnes demandant leur naturalisation. Cette connaissance des législations locales permettait de cibler les questions et points à traiter, donc de faciliter le processus administratif. Il permettait également aux employés d'utiliser leurs compétences acquises et leurs expériences. L’intervention a supprimé cette spécialisation pour en mettre une autre : spécialiser les personnes sur les étapes du processus. Certaines ne faisaient plus que l’accueil des demandeurs, puis d’autres spécialisées dans les premières tâches du processus, … et ainsi jusqu’à la décision finale : acceptation ou refus de la décision de naturalisation. Le but recherché était un gain en personnel : le résultat a été de doubler le temps de traitement des dossiers en augmentant de 30% le nombre de personnes qui en avait la charge. Le stock de dossiers en attente de traitement est bien ici l’indicateur de la non-performance de la solution imposée. Cette recherche d'optimisations locales, au niveau du poste de travail, est dans une logique taylorienne, en opposition la recherche d'une performance globale (réduire les délais de traitement des dossiers) qui n'est pas la somme des optimisations locales.
 
Le Lean à l’hôpital en est un autre exemple : ce qui doit être recherché, c’est la satisfaction QCD des patients, c’est-à-dire être soigné le mieux possible (qualité), à un coût donné (tenable pour la collectivité), et au meilleur délai (réduire les temps d’attente des patients, réduire la prise de rendez-vous, …). Au lieu de cela on voit des démarches qui reposent essentiellement sur des critères économiques (réduction des dépenses, de la masse salariale, …). On parle toujours de clients au lieu de patients, de valeur ajoutée au lieu de service attendu … et de nouveau les files d’attente (le "stock" de patients) et l’allongement des délais pour une intervention sont ici aussi les indicateurs de la non-performance du système. De nouveau, c'est la recherche d'économies qui guide la démarche, pas forcément la recherche de l'efficacité et de l'efficience du système de soins.
 
Point de convergence
 
Dans son article, Jean-Paul POLLIN met en cause « la financiarisation des économies et la montée de la doctrine néolibérale ». Il parle également de la « maximalisation de leur valeur actionnariale » comme l’unique objectif court terme de ces firmes. Nous rejoignons complètement cette opinion, et encore plus quand il affirme que « on en est venu à confondre la recherche de l’efficience avec la compression des coûts ».
 
Le modèle du Lean Management, surtout celui de référence qu’est le TPS – TOYOTA Production System – correspond bien en premier à la recherche de l’efficience, avec une orientation claire pour la satisfaction des besoins et des attentes du client (du patient, de l’usager, de l’utilisateur, …). Il faut juste ne pas se tromper de combat, ni de cible. Les praticiens du Lean Management, comme les économiste, sont les premiers à se désoler de voir comment les idées, les principes, les concepts, les solutions produites et soutenus par leur discipline sont détournés des objectifs initiaux pour des desseins de rentabilité à court terme qui ne nous satisfont pas.
 
Notre article commençait par une référence à un ancien film d’humour : le but était d’attirer l’attention. La conclusion sera laissée à Bernard MARIS, confrère de Jean-Paul POLLIN : « L'économiste est celui qui est toujours capable d'expliquer ex-post pourquoi il s'est, une fois de plus, trompé. » Soyons rassuré : en Lean Management comme en économie les erreurs sont pour nous la source des améliorations futures.

Article "Les Echos" - "Comment le lean Management a fragilisé les entreprises"Article des Echos - 13 mars 2021 - Jean Paul POLLIN


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